La grève, droit fondamental inscrit dans la Constitution française, permet aux salariés d’exprimer collectivement leurs revendications. Toutefois, l’exercice de ce droit n’est pas sans conséquence sur la rémunération. Le bulletin de paie, document officiel remis par l’employeur, doit refléter avec précision les périodes d’absence pour fait de grève et leurs impacts financiers. Cette obligation soulève de nombreuses questions pratiques : comment mentionner la grève sur la fiche de paie ? Quelles sont les règles de calcul pour la retenue sur salaire ? Quels recours existent en cas d’irrégularités ? Cet examen approfondi des mentions relatives à la grève sur le bulletin de salaire répond aux interrogations tant des employeurs que des salariés, dans un contexte où la transparence des informations salariales constitue un enjeu majeur des relations de travail.
Cadre juridique des mentions liées à la grève sur le bulletin de salaire
Le bulletin de salaire représente un document fondamental dans la relation entre l’employeur et le salarié. Son contenu est strictement encadré par le Code du travail, notamment par les articles R.3243-1 à R.3243-5. Ces dispositions légales précisent l’ensemble des mentions obligatoires devant figurer sur ce document, qu’il s’agisse des informations relatives à l’employeur, au salarié, ou aux différents éléments de rémunération.
Concernant spécifiquement la grève, aucune disposition légale n’impose explicitement de faire apparaître la mention « grève » sur le bulletin de paie. Néanmoins, l’employeur est tenu d’indiquer clairement toute absence non rémunérée et son impact sur le salaire. Cette obligation découle du principe de transparence qui régit l’établissement des fiches de paie. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment l’arrêt du 8 octobre 2014 (n°13-13801), l’employeur doit mentionner distinctement les retenues opérées au titre de la grève.
Le principe de proportionnalité constitue la règle cardinale en matière de retenue sur salaire pour fait de grève. Consacré par l’arrêt Omont du Conseil d’État du 7 juillet 1978, ce principe stipule que la retenue doit être strictement proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail. Pour le secteur privé, cette règle est reprise dans divers arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Il convient de noter que la loi du 8 août 2016 relative au travail a simplifié la présentation du bulletin de paie, mais n’a pas modifié les obligations de transparence concernant les absences pour fait de grève. La CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) rappelle par ailleurs que les informations figurant sur le bulletin de paie doivent respecter le principe de pertinence des données, conformément au RGPD.
- Obligation de transparence sur les éléments affectant la rémunération
- Application stricte du principe de proportionnalité pour les retenues
- Respect des règles de protection des données personnelles
Modalités pratiques de mention de la grève sur le bulletin de paie
La transcription de la participation à un mouvement de grève sur le bulletin de salaire répond à des règles précises que les employeurs doivent respecter. Concrètement, la retenue sur salaire pour fait de grève peut apparaître sous différentes formes sur la fiche de paie.
La méthode la plus courante consiste à faire figurer une ligne spécifique dans la partie des absences non rémunérées. Cette mention peut prendre diverses appellations telles que « absence pour grève« , « retenue pour grève » ou « absence non rémunérée – grève« . À côté de cette désignation doivent apparaître la durée de l’absence (en heures ou en jours) ainsi que le montant correspondant de la retenue.
Certains logiciels de paie proposent des codes spécifiques pour identifier les absences liées à la grève. Par exemple, le code « GRV » est fréquemment utilisé. L’employeur doit veiller à ce que ces codes soient explicites ou accompagnés d’une légende permettant au salarié de comprendre facilement la nature de la retenue.
Il est primordial que la mention soit suffisamment claire pour que le salarié puisse identifier sans ambiguïté la nature et le montant de la retenue. La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans plusieurs arrêts, dont celui du 23 juin 2010 (n°09-40.916). Une mention trop vague comme « absence non rémunérée » sans autre précision pourrait être jugée insuffisante.
Informations complémentaires à mentionner
Au-delà de la simple mention de l’absence, l’employeur doit fournir des informations permettant de comprendre le calcul de la retenue. Ainsi, doivent figurer :
- La base de calcul utilisée (salaire horaire ou journalier)
- Le nombre d’heures ou de jours d’absence
- Le montant total de la retenue
Dans le cas d’une grève fractionnée (par exemple, débrayages de quelques heures), la jurisprudence sociale exige une transparence accrue. L’arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2012 (n°11-12.528) précise que l’employeur doit détailler les différentes périodes de grève ayant donné lieu à retenue.
Pour les salariés au forfait jours, des règles spécifiques s’appliquent. La retenue doit être calculée en fonction du nombre de jours de travail prévu dans l’année, et non sur une base mensuelle. Cette particularité doit apparaître clairement sur le bulletin de paie pour éviter toute contestation ultérieure.
Enfin, il est recommandé aux employeurs d’informer préalablement les salariés des modalités de calcul des retenues pour fait de grève, par exemple via le règlement intérieur ou une note de service. Cette communication préventive contribue à limiter les litiges relatifs aux mentions figurant sur le bulletin de salaire.
Calcul et impact financier de la grève sur la rémunération
La participation à un mouvement de grève engendre des conséquences financières directes pour le salarié gréviste. Le principe fondamental qui s’applique est celui de l’absence de rémunération pendant la période non travaillée, conformément à la règle du « service fait« . Cette retenue sur salaire obéit à des modalités de calcul précises qui doivent être rigoureusement respectées par l’employeur.
Pour un salarié rémunéré sur une base horaire ou mensuelle, la retenue s’effectue proportionnellement à la durée de la grève. Ainsi, pour une heure de grève, la retenue correspond à 1/151,67e du salaire mensuel (pour un temps plein à 35 heures hebdomadaires). Pour une journée complète, elle équivaut généralement à 1/22e du salaire mensuel, si l’on considère qu’un mois compte en moyenne 22 jours ouvrés.
La formule de calcul standard peut se résumer ainsi :
- Retenue pour une heure de grève = Salaire mensuel brut / (Nombre d’heures travaillées par semaine × 52/12)
- Retenue pour une journée de grève = Salaire mensuel brut / Nombre moyen de jours travaillés par mois
Pour les salariés soumis au régime du forfait jours, la retenue s’opère selon une logique différente. La Cour de cassation, dans son arrêt du 13 novembre 2008 (n°06-44.608), a établi que la retenue doit être calculée en fonction du nombre de jours de travail annuel prévu au forfait. Par exemple, pour un forfait de 218 jours annuels, la retenue pour une journée de grève sera de 1/218e du salaire annuel.
L’impact de la grève ne se limite pas au salaire de base. Elle affecte également certaines primes et indemnités. Par exemple, la prime d’assiduité peut être réduite en cas de participation à un mouvement de grève, sauf si une disposition conventionnelle prévoit expressément le contraire. La jurisprudence admet cette réduction dès lors qu’elle est proportionnelle à la durée de l’absence et qu’elle ne constitue pas une sanction déguisée (Cass. soc., 5 mai 2010, n°08-43.639).
En revanche, certains éléments de rémunération demeurent intouchables. La prime d’ancienneté, les avantages en nature liés au statut (comme un véhicule de fonction), ou encore les primes annuelles calculées sur la base du salaire perçu ne peuvent être réduits que proportionnellement à l’impact de la grève sur le salaire annuel. Toute réduction supplémentaire serait considérée comme une sanction pécuniaire prohibée par l’article L.1331-2 du Code du travail.
Concernant les congés payés, la Cour de cassation a établi que les périodes de grève ne peuvent entraîner une réduction des droits à congés que si la grève s’étend sur une période d’au moins un mois civil (Cass. soc., 23 juin 2009, n°07-44.640). Pour des grèves de plus courte durée, l’acquisition des congés payés n’est pas affectée.
Particularités sectorielles et conventionnelles des mentions de grève
Si le cadre légal général s’applique à l’ensemble des salariés du secteur privé, certains secteurs d’activité ou conventions collectives prévoient des dispositions spécifiques concernant la mention des grèves sur les bulletins de salaire. Ces particularités méritent une attention particulière tant elles peuvent moduler les règles communes.
Dans le secteur public, la règle dite du « trentième indivisible » s’applique pour les fonctionnaires et agents publics. Instaurée par la loi du 29 juillet 1961, cette règle prévoit qu’une journée de grève, quelle que soit sa durée effective, entraîne une retenue correspondant à 1/30e du traitement mensuel. Cette disposition, plus sévère que la règle de proportionnalité stricte applicable dans le privé, a été confirmée par le Conseil d’État à plusieurs reprises, notamment dans son arrêt du 27 juin 2008 (n°305350).
Toutefois, des exceptions existent pour certaines entreprises publiques. Par exemple, à la SNCF et à la RATP, des accords d’entreprise prévoient des modalités spécifiques de calcul des retenues pour fait de grève, avec des mentions particulières sur les bulletins de paie. Ces accords peuvent prévoir des retenues proportionnelles à la durée réelle de la grève, s’écartant ainsi du principe du trentième indivisible.
Dans le secteur privé, certaines conventions collectives contiennent des dispositions encadrant plus précisément la mention des grèves sur les fiches de paie. La convention collective nationale de la métallurgie, par exemple, prévoit que toute absence pour fait de grève doit être mentionnée distinctement, avec indication précise de la durée et du montant de la retenue. De même, la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants comporte des stipulations particulières concernant l’impact de la grève sur certaines primes sectorielles.
Pour les salariés intérimaires, la situation présente des spécificités. En cas de grève au sein de l’entreprise utilisatrice, si le travailleur temporaire ne peut accéder à son poste de travail, l’entreprise de travail temporaire doit mentionner sur le bulletin de paie non pas une « absence pour grève » mais une « absence pour impossibilité de mission ». Cette distinction est fondamentale car elle détermine les droits du salarié intérimaire en matière d’indemnisation.
Secteurs à contraintes particulières
Dans les secteurs soumis à des obligations de service minimum, comme le transport aérien ou les services hospitaliers, des règles spécifiques s’appliquent. Les bulletins de paie des personnels réquisitionnés doivent distinguer clairement les périodes travaillées dans le cadre d’une réquisition des périodes de grève effective. La jurisprudence administrative a précisé que toute mention ambiguë à ce sujet pouvait être source de contentieux.
Pour les travailleurs à domicile et les télétravailleurs, la participation à un mouvement de grève et sa mention sur le bulletin de paie suivent des modalités adaptées. L’employeur doit tenir compte des horaires habituels de travail pour déterminer l’impact de la grève, même en l’absence de pointage physique. La Cour de cassation a confirmé cette approche dans un arrêt du 25 janvier 2017 (n°15-21.950).
Enfin, dans le cadre de l’économie des plateformes, la question des mentions relatives à la grève sur les relevés de rémunération se pose avec acuité. Bien que les travailleurs des plateformes ne bénéficient pas toujours du statut de salarié, la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 leur reconnaît un droit de refus concerté de prestation, assimilable à un droit de grève. Les modalités de mention de ces mouvements sur les documents de paie restent cependant à préciser par la jurisprudence.
Contentieux et recours relatifs aux mentions de grève sur le bulletin
La mention des périodes de grève sur le bulletin de paie peut générer divers litiges entre employeurs et salariés. Ces contentieux portent généralement sur trois aspects principaux : l’exactitude des mentions, le calcul des retenues, et la qualification même du mouvement social.
Le premier motif de litige concerne l’absence ou l’imprécision des mentions relatives à la grève. Lorsque l’employeur omet d’indiquer clairement la nature de l’absence ou utilise des termes ambigus, le salarié peut contester le bulletin de paie. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser, notamment dans son arrêt du 8 octobre 2014 (n°13-13801), que l’employeur doit mentionner de façon explicite les retenues opérées au titre de la grève. L’utilisation de codes non explicités ou de formulations trop vagues (« absence non rémunérée » sans autre précision) peut être considérée comme insuffisante.
Le second point de friction porte sur le calcul des retenues. Les salariés peuvent contester le montant prélevé s’ils estiment qu’il ne respecte pas le principe de proportionnalité. Par exemple, dans un arrêt du 16 mai 2012 (n°11-12.528), la Chambre sociale a sanctionné un employeur qui avait appliqué une retenue d’une journée entière pour un débrayage de deux heures. De même, la déduction de primes ou d’éléments accessoires du salaire au-delà de ce que permet la loi constitue un motif fréquent de recours.
Enfin, la qualification même du mouvement social peut être source de contentieux. Certains employeurs tentent de requalifier des absences pour grève en absences injustifiées, avec des conséquences plus lourdes sur la rémunération et d’éventuelles sanctions disciplinaires. La jurisprudence est particulièrement vigilante sur ce point et protège le droit de grève en tant que droit fondamental.
Voies de recours pour les salariés
Face à une irrégularité concernant la mention de la grève sur son bulletin de paie, le salarié dispose de plusieurs recours :
- La réclamation directe auprès de l’employeur ou du service paie
- La saisine de l’inspection du travail qui peut constater l’infraction
- Le recours aux représentants du personnel (CSE, délégués syndicaux)
- L’action en justice devant le Conseil de prud’hommes
Pour ce dernier recours, le délai de prescription est de trois ans à compter de la remise du bulletin de paie contesté, conformément à l’article L.3245-1 du Code du travail. Le salarié peut demander la rectification du bulletin, le remboursement des sommes indûment retenues, et éventuellement des dommages et intérêts en cas de préjudice avéré.
La charge de la preuve est partagée : le salarié doit apporter des éléments laissant présumer l’irrégularité, tandis que l’employeur doit justifier de la régularité des retenues opérées. Les juges prud’homaux examinent avec attention les bulletins de paie, les relevés de pointage et tout document permettant d’établir la réalité et la durée de la grève.
Dans certains cas, le contentieux peut prendre une dimension collective. Les organisations syndicales peuvent agir en justice pour défendre l’intérêt collectif de la profession, notamment lorsqu’une pratique irrégulière concernant la mention des grèves affecte plusieurs salariés. Cette action est distincte des recours individuels et peut aboutir à des injonctions contraignant l’employeur à modifier ses pratiques.
Il convient de noter que les litiges relatifs aux bulletins de paie dans le secteur public relèvent de la compétence des tribunaux administratifs, avec des règles procédurales spécifiques et des délais de recours différents (généralement deux mois à compter de la notification de la décision contestée).
Bonnes pratiques et recommandations pour employeurs et salariés
La gestion des mentions de grève sur les bulletins de salaire nécessite vigilance et rigueur tant du côté des employeurs que des salariés. L’adoption de bonnes pratiques permet non seulement d’assurer la conformité légale des documents, mais favorise la transparence dans les relations de travail.
Pour les employeurs, plusieurs recommandations s’imposent afin de prévenir les litiges :
- Établir une procédure claire de décompte des heures de grève, idéalement formalisée dans un document accessible à tous
- Utiliser des libellés explicites sur les bulletins de paie (« absence pour grève » plutôt que des codes cryptiques)
- Détailler le calcul des retenues en indiquant précisément la base de calcul, la durée de l’absence et le montant correspondant
- Conserver les justificatifs des calculs effectués (relevés de pointage, déclarations de grève) pendant la durée légale de conservation des documents sociaux
La DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) recommande aux employeurs d’informer préalablement les salariés des modalités de calcul des retenues pour fait de grève. Cette communication préventive contribue à limiter les incompréhensions et les contestations ultérieures.
Du côté des salariés, la vigilance est de mise concernant les bulletins de paie reçus après une période de grève :
- Vérifier systématiquement la concordance entre la durée réelle de participation à la grève et celle mentionnée sur le bulletin
- Contrôler que la retenue est strictement proportionnelle à la durée d’absence
- S’assurer que les primes et compléments de salaire ne sont pas impactés au-delà de ce que permet la loi
- Conserver une trace de sa participation effective à la grève (déclaration préalable, attestations de collègues)
Les organisations syndicales jouent un rôle majeur dans l’accompagnement des salariés. Elles peuvent négocier avec la direction des protocoles précisant les modalités de mention des grèves sur les bulletins de paie. Ces accords, lorsqu’ils existent, offrent un cadre sécurisant pour les deux parties.
Évolution des pratiques à l’ère numérique
La dématérialisation croissante des bulletins de paie soulève de nouveaux enjeux. Le coffre-fort numérique, rendu obligatoire par la loi du 8 août 2016 pour les employeurs qui optent pour le bulletin électronique, doit garantir l’intégrité et la lisibilité des mentions relatives à la grève pendant toute la durée de conservation.
Les logiciels de paie modernes intègrent désormais des fonctionnalités permettant une gestion fine des absences pour fait de grève. Ces outils facilitent le respect des obligations légales en automatisant les calculs de retenue proportionnelle et en générant des libellés conformes aux exigences jurisprudentielles.
Pour les employeurs multi-sites ou gérant des salariés aux statuts variés (conventionnels, forfait jours, temps partiel), l’harmonisation des pratiques de mention des grèves constitue un défi organisationnel. La mise en place d’une procédure centralisée, supervisée par la direction des ressources humaines, permet d’éviter les disparités de traitement potentiellement sources de contentieux.
Enfin, dans une perspective de dialogue social constructif, certaines entreprises ont développé des pratiques innovantes comme la mise à disposition d’un document annexe au bulletin de paie détaillant précisément les modalités de calcul des retenues. Cette transparence renforcée contribue à pacifier les relations sociales, même dans des contextes de conflit.
L’enjeu, pour tous les acteurs, réside dans l’équilibre entre le respect scrupuleux du droit de grève, droit fondamental constitutionnellement protégé, et la juste application du principe selon lequel l’absence de travail justifie l’absence de rémunération. Le bulletin de paie, loin d’être un simple document administratif, s’affirme comme le reflet fidèle de cet équilibre délicat.
