Le monde de la finance tremble : les sanctions pour délit d’initié n’ont jamais été aussi sévères. Entre amendes colossales et peines de prison, les autorités ne font plus de quartier. Décryptage d’un dispositif répressif en pleine mutation.
Un arsenal juridique renforcé contre les initiés indélicats
La lutte contre le délit d’initié s’est considérablement durcie ces dernières années. Les législateurs ont progressivement étoffé l’arsenal juridique à disposition des autorités de régulation et des tribunaux. Désormais, l’Autorité des marchés financiers (AMF) peut infliger des amendes allant jusqu’à 100 millions d’euros, voire plus dans certains cas. La loi Sapin II de 2016 a notamment permis d’augmenter significativement les plafonds des sanctions pécuniaires.
Sur le plan pénal, les peines encourues sont tout aussi dissuasives. Le Code monétaire et financier prévoit jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 100 millions d’euros d’amende pour les personnes physiques reconnues coupables de délit d’initié. Les personnes morales peuvent quant à elles se voir infliger une amende pouvant atteindre 500 millions d’euros. Ces montants peuvent même être portés au décuple du profit réalisé, si celui-ci est supérieur.
Des sanctions administratives de plus en plus lourdes
L’AMF n’hésite plus à frapper fort dans ses décisions. En 2019, elle a ainsi prononcé une amende record de 20 millions d’euros à l’encontre d’un gérant de hedge fund accusé d’avoir utilisé des informations privilégiées. Plus récemment, en 2022, c’est un ancien dirigeant d’une société cotée qui s’est vu infliger une sanction de 15 millions d’euros pour des faits similaires.
Au-delà des amendes, la Commission des sanctions de l’AMF dispose d’autres outils répressifs. Elle peut notamment prononcer des interdictions d’exercer, temporaires ou définitives, particulièrement redoutées dans le milieu financier. Ces mesures peuvent s’avérer dévastatrices pour la carrière des professionnels visés.
La voie pénale : l’épée de Damoclès des initiés
Si les sanctions administratives font déjà trembler le monde de la finance, la menace d’une condamnation pénale reste la plus redoutée. Les tribunaux correctionnels n’hésitent plus à prononcer des peines de prison ferme dans les affaires les plus graves. En 2020, un ancien trader a ainsi été condamné à 3 ans de prison dont 18 mois ferme, assortis d’une amende de 1 million d’euros.
La justice pénale dispose par ailleurs d’un arsenal complémentaire de peines accessoires. Interdiction de gérer une entreprise, privation des droits civiques, confiscation des biens… autant de mesures qui peuvent achever de ruiner la réputation et la carrière des condamnés.
Une coopération internationale renforcée
Face à la mondialisation des marchés financiers, les autorités ont dû s’adapter. La coopération entre régulateurs s’est considérablement renforcée, notamment au sein de l’Union européenne. Le règlement européen MAR (Market Abuse Regulation) a permis d’harmoniser les définitions et les sanctions en matière d’abus de marché.
Cette coopération s’étend au-delà des frontières de l’UE. Des accords d’échange d’informations ont été conclus avec de nombreux pays, dont les États-Unis. La Securities and Exchange Commission (SEC) américaine collabore ainsi étroitement avec l’AMF dans les enquêtes transfrontalières.
Des moyens d’investigation high-tech
Pour traquer les délits d’initiés, les autorités disposent désormais d’outils dignes des meilleurs films d’espionnage. L’AMF a notamment développé un système de surveillance baptisé ICY, capable d’analyser en temps réel des millions de transactions pour détecter les comportements suspects.
Les enquêteurs s’appuient par ailleurs sur des techniques d’analyse de données massives (big data) et d’intelligence artificielle pour repérer les schémas inhabituels. Les écoutes téléphoniques et la surveillance des communications électroniques font partie de l’arsenal à leur disposition.
L’enjeu de la prévention et de la conformité
Face à ce durcissement des sanctions, les entreprises n’ont d’autre choix que de renforcer leurs dispositifs de prévention. Les programmes de compliance se sont généralisés, avec la mise en place de procédures strictes pour encadrer la circulation des informations sensibles.
La formation des collaborateurs est devenue un enjeu crucial. De nombreuses sociétés organisent régulièrement des sessions de sensibilisation aux risques liés au délit d’initié. Certaines vont jusqu’à imposer des périodes de blackout pendant lesquelles toute transaction sur les titres de l’entreprise est interdite.
Vers une remise en question du cumul des sanctions ?
Le principe du « non bis in idem », qui interdit de juger deux fois une personne pour les mêmes faits, a longtemps été mis à mal dans les affaires de délit d’initié. Il n’était pas rare qu’un même dossier fasse l’objet de poursuites à la fois devant l’AMF et devant les tribunaux pénaux.
Cette situation a été remise en cause par plusieurs décisions de justice, dont un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme en 2014. Depuis, le législateur a mis en place un système d’aiguillage visant à éviter le cumul des poursuites. L’avenir dira si ce dispositif est suffisant pour garantir les droits de la défense tout en préservant l’efficacité de la répression.
Le délit d’initié est désormais dans le collimateur des autorités comme jamais auparavant. Entre sanctions record et moyens d’investigation high-tech, le message est clair : les fraudeurs n’ont plus droit à l’erreur. Une évolution qui témoigne de la volonté de restaurer la confiance dans les marchés financiers, mise à mal par trop de scandales.